Pour autant que je me souvienne, j’ai toujours ques- tionné mon identité, en fait la notion même d’identité. Les photographies présentées ici forment un témoi- gnage continu de mes recherches artistiques sur ce su- jet. Démarrant avec les frontières réelles, interprétées dans le contexte de la mondialisation et de l’immigra- tion mondiale, l’identité est alors perçue soit comme un concept négatif engendrant concurrence, intolérance et violence, soit comme un vecteur d’idéaux basés sur l’al- térité, l’originalité, et la coopération. Progressivement, j’ai dépassé les frontières physiques pour m’aventurer esthétiquement dans un monde dans lequel j’ai érigé des ponts invisibles afin d’établir de fécondes liaisons entre des notions abstraites et hétérogènes jouant avec les formes, les couleurs, les ombres, et les concepts. Ces ponts sont alors autant de leviers que je propose d’ac- tionner pour éviter que nous nous retrouvions piégés dans un monde homogène, uniforme, normalisé, au fi- nal un monde totalitaire.
Ce travail découle des observations faites durant un séjour aux Etats-Unis (Floride).
Face à un vaste paysage sans grandes différences topographiques, je me suis interrogée au concept fondamental et familier du paysage. À la fois profondément subjectif et objectif, mobile et immobile, dans l’espace et le temps, nous sommes en permanence liés à lui et lui à nous. Lors de mon retour en France, en raison des restrictions sanitaires dues à la Covid 19, sortir photographier le paysage devint compliqué. Je commençai à réfléchir sur les possibilités de créer par moi-même les paysages nécessaires à ma recherche.
Le terme paysage dispose d’une ample palette sémantique, il est difficile de savoir quel est le sens précis qu’on lui attribue. Certains aspects de cette idée de paysage qui est traitée familièrement sont très clairs, en raison plus du caractère intuitif du concept que de sa construction systématique dans l’utilisation. Parmi ces qualités essentielles, il y a celle qui lie le concept de paysage à une appréciation esthétique déter- minée.
Cornered Illusions se concentre sur une nature esthétique du paysage : le champ sensoriel, la perception et la création. La manipulation plastique de formes, des lignes, les pliages consécutifs donnent une perception différente des paysages initialement photographiés. Cette transformation les transcende, ils arrêtent d’être de “simples” paysages à contempler pour devenir des “paysages à penser ; à sentir ; à com- prendre “.
Ainsi, Cornered Illusions, ne répond pas à l’idée d’un paysage de nature et ne s’inscrit pas dans le schéma de la beauté harmonieuse d’un paysage cultivé ; cependant, sa contemplation provoque chez l’observateur une sensation troublante. Une sensation qu’il essaie de maîtriser en cherchant sa cause, son origine.
Comment alors interpréter ces paysages créés, manipulés et transformés? Provoquent-ils une réponse esthétique chez l’observateur ? Une réponse essentiellement émotionnelle ? Ou intellectuelle ?
Cornered Illusions paysages de sensations.
Des sensations difficiles à cerner, et des images également dotées d’une organisation spatiale très structurée et propre à leur construction.
Ces grands espaces sont synonymes de liberté, de sérénité, de tranquillité, On s’y sent bien, en sécu- rité. Ils sont une invitation à la méditation. On a envie de s’y arrêter, de s’enivrer d’un sentiment de douce pléni- tude. Qu’y a-t-il derrière ces imposants massifs minéraux, derrière cette ligne d’horizon où se confondent ciel et mer, où le gris et le noir semblent sur le point de l’emport- er. Que se passe-t-il par delà ces frontières naturelles ? De l’autre côté de la Méditerranée, des préten- dants à la périlleuse traversée attendent le moment propice qui leur permettra d’échapper à leur sort : la guerre, la faim, la répression, la violence. Arrivant sur nos berges paisibles obtiendront-ils le statut de Refuge[es] ?
Mes derniers travaux en photographie m’ont amenée à une profonde réflexion sur le paysage et sa perception. À travers mes deux dernières œuvres, Cornered Illusions et Colored Illusion, je m’interroge sur la perception du paysage par le biais de différentes manipulations telles que le pliage ou le trompe-l’œil.
Dans Carthography of a dream , j’ approfondis ma recherche en créant un pont entre le monde réel et le monde de l’abstrait, du rêve et du ressenti. Déconstruit de cette manière le paysage se libère de son essence et de la vérité presque dogmatique qu’il dépeint.
La dissociation des éléments qui le composent et le réagencement de ces derniers amènent une nouvelle lecture. La lumière, les lignes ou encore les ombres deviennent alors autonomes et sont autant d’éléments qui participent à son émancipation.
Il ne s’agit pas uniquement de concevoir de nouveaux paysages. Il s’agit de créer des espaces mentaux et psychologiques propres à chaque spec- tateur par le biais de modifications apportées par l’artiste.